Cathy Dauer – Kinésithérapeute

Les différents stages de RSP ont mis en exergue la dualité corps-esprit, inhérente à la quasi totalité des thérapies tant verbales que corporelles. La RSP a le mérite de tenter une approche que je qualifierais de pluridisciplinaire, en s’appuyant sur les aspects essentiels de certaines techniques thérapeutiques telles que la psychanalyse ou la fasciathérapie… et affirme ainsi le principe selon lequel la connaissance de l’Humain ne peut s’entendre sans référence à ce célèbre adage :

«connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’Univers et ses Dieux».

Le «Mythe de la caverne» relaté par Platon montre à quel point les individus négocient leurs rapports avec la réalité au moyen de leurs propres représentations du monde, afin de la rendre plus acceptable. Une éventuelle remise en question de ce qu’ils voient ou d’eux-mêmes, est une menace susceptible de bousculer la béate certitude que leurs croyances sont légitimes et leur comportement raisonnable. Ces gens sont contents et satisfaits d’eux-mêmes et se perçoivent comme des adultes accomplis, ou bien ressentent intuitivement le danger que représente l’ébranlement des fondations qui les soutiennent. Reste que «le bonheur dans l’illusion ne permet pas de dire que la vérité est condamnable» (1).

«Presque toujours, c’est la souffrance qui provoque la demande d’analyse» : l’objectif majeur est de rétablir un certain équilibre tant sur le plan psychique que corporel. «Pourtant audelà de la souffrance physique ou morale, le désir de mieux se connaître constitue une raison suffisante pour entreprendre l’aventure analytique». «Plus que suffisante, elle est nécessaire pour que l’analyse ait une bonne chance de réussir» (1).

C’est la prise de conscience d’un désordre physique qui oriente l’individu vers une thérapie corporelle : l’objectif est alors de retrouver la fonctionnalité physique antérieure. Mais il s’avère parfois que les problèmes d’ordre physique ne sont pas sans relation avec des désordres internes plus profonds. C’est pourquoi une approche des conflits psychiques par la voie corporelle, telle que le propose la RSP, est un défi intéressant.

L’approche du corps en psychanalyse

Selon la psychanalyse, le corps réagit à un message refoulé au moyen de contractions, de troubles voire de paralysies… ce que l’on qualifie communément de maladie psychosomatique parce que les problèmes psychiques, rejetés consciemment, sont pris en compte inconsciemment par le “soma”, le corps.

Freud décrit avec précision l’atypie des paralysies hystériques : leurs caractères visibles ne peuvent être rapportés à aucune cause organique connue. Il rapporte notamment la phrase d’une de ses patientes «cela ne peut plus marcher ainsi, je ne le dis pas mais je me paralyse». La patiente n’a plus la disposition de ses jambes, parce que ses jambes seraient devenues sacrées, donc impraticables dans leurs fonctions ordinaires. «Il s’agit d’un jeu de mots, mais annulé dans sa dimension de discours et remplacé par une manifestation motrice» (3).

Quand nulle cause physique ne parvient à expliquer les souffrances manifestes, les thérapeutes s’interrogent sur le sens des symptômes ; ils considèrent que les maladies du corps sont souvent l’effet de conflits émotionnels, pouvant être résolus par une thérapie par le verbe. Le somatique reste à la source de l’ensemble des manifestations psychiques. La psychanalyse lui confère, sur la base de ce qui peut venir s’analyser au titre de productions psychiques, le pouvoir de s’entendre comme l’inconscient lui-même.

Le corps est le siège des symptômes qui objective la nécessité d’une intervention thérapeutique. Il se substitue à l’esprit, en particulier dans le traitement d’une émotion. Celle-ci apparaît quand les exigences de la situation sont disproportionnées avec les possibilités du sujet. Il existe un décalage entre ses anticipations perceptives et cognitives et son répertoire de réponses disponibles. Si le sujet dispose d’un équipement inné ou acquis, de réponses adaptées à la situation, son comportement s’avère normal ou habituel. Si le sujet n’en dispose pas, au moins dans l’immédiat, il ressent un dysfonctionnement plus ou moins général de l’activité qui atteint les processus cognitifs (perception, représentation). L’émotion se diffuse dans tout l’organisme troublant aussi bien les régulations organiques, l’adaptation d’une conduite par confusion intellectuelle que la vie de relation. Pour Freud «l’émotion est un processus de décharges dont la source devrait être recherchée dans les conflits inconscients» (1). Par l’analyse, le sujet apprend, sinon à maîtriser l’émotion qui peut s’emparer de lui, du moins à s’employer à lui donner un sens.

La psychanalyse s’intéressant aux phénomènes psychiques, tente une approche synthétique de l’être humain dans ses aspects somatiques et psychiques, mais ne porte toutefois qu’une attention restrictive au corps. Elle fait du soma l’expression d’une exclusivité objective, donnant un espace physique aux phénomènes (telles les maladies) dont le corps est l’objet. Le corps y est reconnu dans la puissance de ses dérèglements et de ses agitations : par la véracité des troubles psychosomatiques, le corps physiologique s’entend comme le champ de répercussions des conflits psychiques. Le corps y est compris comme réceptacle des décharges émotionnelles du patient.

Descartes dans le discours sur la méthode écrivait que «l’Ame est entièrement distincte du corps». «Cette distinction, pour aussi évidente qu’elle est devenue notre mode pensée, ne trouve pas son ordre de raisons dans d’autres cultures» (3). La loi bouddhique, par exemple, détermine l’état des choses en fonction des domaines du sensible, des sensations, des perceptions et des constructions psychiques. La première des «Nobles Vérités» du Bouddha réside dans le constat de l’existence de la douleur. Le chemin d’arrêt de cette douleur oriente les sujets vers l’entraînement systématique du corps et de l’esprit qu’offre le yoga. «Le problème du corps est, dans la culture occidentale, historiquement perverti par ce très large contentieux philosophique dont la résolution reste encore bien incertaine» (3).

L’approche du psychisme en thérapie corporelle : le Rolfing

La difficulté survient lorsqu’il s’agit de définir les conditions du savoir médical et de son objet, de déterminer les rapports entre le psychique et le somatique, même si certaines techniques telle la fasciathérapie se réfèrent à ces liens de manière constante : «certaines des manifestations qui se produisent au cours d’un cycle de Rolfing sont analogues à ce qui se passe au cours d’une psychothérapie» (5). Une séance de Rolfing s’accompagne souvent de libération des tensions émotionnelles et de la guérison de certains troubles physiques. «Ainsi quand je travaille avec un patient, je n’ai pas pour objectif de libérer ses tensions émotionnelles, mais c’est souvent ce qui se passe, tandis que je replace un fascia dans son alignement approprié» (5).

Ida Rolf a découvert que les anomalies du cou et le mauvais équilibre des muscles de la voûte crânienne ont souvent pour origine le déséquilibre du tissu conjonctif à l’intérieur de la bouche , déséquilibre qui présente bien souvent une forte composante émotionnelle ! Des muscles comme le masséter et le buccinateur seront très tendus chez les sujets coléreux, ayant tendance à serrer les mâchoires quand ils se mettent en colère, ou chez des sujets émotifs qui retiennent constamment leurs larmes. «Au lendemain de la septième séance, consacrée à travailler le cou et la tête, elle a revu le film de sa vie, revivant sa naissance et certaines scènes de sa petite enfance».

Le traitement par le Rolfing est «un processus lent, subtil et doux, qui consiste à faire se mouvoir le tissu conjonctif, en accord avec les rythmes profonds de la chair. La douleur vient à la fois du niveau de profondeur du travail et du conflit intérieur du sujet. Nous oscillons tous entre le désir d’être libres et la peur de l’être. Sur le plan corporel, cette tension se manifeste par une lutte entre la résistance et la soumission du tissu conjonctif au mouvement que lui impriment mes mains» (5).

Les premières séances sont consacrées à modifier la structure corporelle : éliminer les points d’efforts inutiles et les postures inadéquates, et instaurer un nouveau de mode de communication, un nouveau langage du corps. Mais tout ce qui se passe à un certain niveau de l’existence personnelle se reflète à tous les autres niveaux. «Souvent les patients signalent qu’à la suite des séances initiales, ils éprouvent des sensations étranges. Ils sont désorientés, «en dehors du coup». Ils se sentent étrangers dans leur monde habituel, et ne peuvent plus avoir le même type de relations humaines qu’auparavant. Certains ont l’impression que leur corps a une vie propre et qu’ils ne peuvent le contrôler : ils tombent beaucoup et se comparent à des nouveaunés» (5).

Le corps témoigne de l’histoire unique de la vie de tout individu, il est le résultat unique de son histoire : il est fonction de la vie fœtale et des conditions dans lesquelles s’est déroulée la naissance, de l’environnement familial et des relations aux parents, des maladies contractées ou des accidents qui sont arrivés… Il est aussi fonction de la manière dont l’individu a appris à s’en servir, de la manière dont ses parents lui ont appris à s’en servir, eux-mêmes se référant à la façon dont ils se sont servis du leur. Autant de facteurs qui ont laissé leurs empreintes dans la chair : «votre chair, c’est votre album de famille. En elle est inscrite toute votre histoire».

Untel rentre sa colère et son hostilité, et tel autre se montre poli, conciliant. Sur le plan corporel, des déséquilibres musculaires s’installent, visant à éviter de ressentir des malaises plus profonds. «L’enfant se blesse. Comme il ne veut pas faire l’expérience de la douleur, il met au point un système de blocage, tant physique qu’émotionnel, qui lui évitera d’expérimenter l’événement produisant la douleur. Mais ce système de protection durcit les tissus et provoque la mécanisation de la réaction émotionnelle. A force de se comporter de la sorte devant les incidents douloureux, l’enfant se transforme en un adulte rigide, aux réactions mécaniques et totalement prévisibles » (5).

Quand on jette les masques, c’est une réalité toute différente qui émerge. Nous nous servons de notre corps comme d’un bouclier contre la douleur physique et émotionnelle, ce que Wilhelm Reich nomme «l’armure caractérielle». Mais il s’agit là d’une façade soigneusement construite pour dissimuler la détresse éprouvée tout au long des années. «Après la séance de Rolfing consacrée au massage profond de la tête et du cou, la patiente s’arrêta net à la porte, les yeux embués de larmes : «je ne peux pas supporter l’idée de quitter cette pièce. Mon ancien visage dissimulait mes sentiments et me protégeait des autres» (5).

Le Rolfing arrache le voile de compensations musculaires pour arriver au vrai problème, à la vraie détresse, dans le but d’accéder à un niveau corporel moins rigide, plus harmonieux. Pour le thérapeute comme pour le patient, chacun des facteurs ayant contribué à faire du corps ce qu’il est aujourd’hui peut être modifié, inversé, atténué, à condition qu’il soit reconnu comme simple variable de l’histoire personnelle, et non pas comme élément d’une structure immuable. «Soutenir que la structure est immuable c’est donner à l’existence un caractère bien morne. Et c’est pourquoi, malgré une activité physique régulière, une alimentation saine, et le recours à une psychothérapie ou à la technique de méditation, beaucoup d’entre nous demeurent harcelés par leurs vieilles douleurs, qui sont à la fois d’ordre physique et psychique» (5) .

Les vertus de la parole

Les fondements théoriques de la psychanalyse, élaborés par Freud, reposent sur le fait que la remémoration d’événements pathologiques, en présence de l’analyste, par la technique de la libre association c’est-à-dire la parole, soulage le patient de ses mots et de ses maux. Freud suppose l’existence d’un psychisme inconscient qui nous détermine à notre insu, inconscient qui n’est pas une simple absence de conscience mais l’effet structurel d’un refoulement. Il établit que nombre de difficultés propres au sujet, nombre de symptômes, ne peuvent disparaître que si le refoulement est au moins partiellement levé. «En modifiant les résistances, en réinstallant dans le conscient ce qui est refoulé, l’expérience de l’analyse permet d’admettre la vision d’un psychisme qui peut vivre sans conflits. Les conflits entretiennent une tension nécessaire à la vie, encore faut-il que la tension ne soit ni excessive ni insuffisante» (1).

«La technique de libre association repose sur le fait que les pensées se présentent, vont peu à peu se relier, prendre sens et donner idée des contenus inconscients jusqu’alors refoulés qu’elles représentent» (4). La relation s’établit autour de la parole de l’analysé et de l’écoute attentive de l’analyste, pour permettre au sujet de découvrir sa vérité. «Une parole, pour prendre sa vraie signification, doit être reconnue comme parole et authentifiée par l’autre» (1). Si l’autre, le destinataire du message ne veut rien entendre, il prive le discours de son sens. L’analyste écoute pour savoir qui parle. L’analyste lui-même analysant et cherchant, entre en résonance avec le patient ou les dires du patient et n’est pas à l’abri d’erreurs d’appréciation.

Une situation peut ne laisser aucune trace ou provoquer des blessures psychiques graves. Le milieu est potentiellement pathogène. C’est la manière de le vivre qui compte. Puisque chacun réagit différemment dans les mêmes conditions d’existence, il faut admettre que ce qui compte, ce ne sont pas les conditions d’existence elles-mêmes, mais la manière dont nous nous situons relativement à elles. «Ce sont les images, les mots, les symboles qui donnent sens à ces conditions d’existence» et «les choses existent dès lors que nous les nommons. Nommer c’est distinguer. C’est la parole qui donne le sens et la vie» (1). Lacan ajouterait que «le langage fait plus que révéler le sujet, il le constitue» (1).

En conclusion

Le corps peut être entendu comme condition de l’objectivité des phénomènes et comme condition de l’inhérence du corps à la découverte de la subjectivité. Puisque le corps ne nous semble plus pouvoir être pensé indépendamment de l’esprit et vice et versa, le corps nous apparaît, aujourd’hui, comme un autre moyen d’accès au psychisme.

Gibran fait dire au Prophète «vous parlez quand vous cessez être en paix avec vos pensées. En ce sens la parole demeure un moyen privilégié. Mais le maître, s’il est vraiment sage, vous conduira jusqu’au seuil de votre esprit. Personne ne peut vous révéler autre chose que ce qui repose déjà, à moitié endormi, dans le commencement de votre savoir» (2).

Au demeurant, «la pensée est un oiseau de l’espace qui, dans la cage des mots, peut déployer ses ailes, mais ne peut pas voler» (2). La prise en considération du corps pourrait être l’outil qui permettrait d’ouvrir sensiblement la porte de la cage, créant un espace de liberté relatif mais substantiel pour la pensée. Accepter d’écouter le langage du corps voire accepter d’être son corps pour consentir au face à face avec soi. Reconnaître son corps pour distinguer l’être dans sa totalité, tant au niveau physique que psychique ou affectif. Peut-être alors, pouvoir regarder un peu plus les choses telles qu’elles sont et non telles que nous voudrions qu’elles soient.

L’approche de l’individu par la RSP semble s’orienter vers un juste compromis :

EN jouant sur la complémentarité, la RSP peut prétendre à la poursuite de buts éducatifs, en permettant d’améliorer la connaissance du monde intérieur de tout à chacun, et rééducatifs, en permettant d’amoindrir le décalage entre une situation objective et son appréhension subjective.

Bibliographie

(1) Beresniak, D., Comprendre la psychanalyse, Edition du rocher, 1990.

(2) Gibran, K., Le prophète, Librairie générale française, Coll. Livre de poche, 1993.

(3) Encyclopaedia Universalis, 1998.

(4) Dictionnaire de la psychanalyse, Edition Larousse, 1993.

(5) Johnson. D., Le rolfing, Editions Retz (traduction française), 1981.